Préparation aux cas

Votre client est une société, filiale d’un grand groupe Européen, fabriquant de fibres textiles pour le marché de l’aménagement, notamment la moquette. Cette société opère en France uniquement. Elle produit 10 000 tonnes par an et son chiffre d’affaires représente 50M d’euros. Son résultat d’exploitation est négatif de 10M d’euros par an. Un nouveau Directeur Général vient d’être nommé par l’actionnaire avec comme mission principale de déterminer la meilleure solution à court terme. L’entreprise peut-elle être redressée ? Doit-elle être fermée ou vendue ? Le nouveau directeur général vous contacte pour que vous l’assistiez dans la mission qui lui a été confiée. Que lui conseillez-vous ?


La première chose que je constate c’est que la perte est importante avec 800 000 euros en moyenne par mois. Il faut aller à l’essentiel en termes d’analyse pour pouvoir comprendre la direction à suivre. Pour commencer, je propose d’analyser la situation de l’entreprise sur son marché.

Advancy : que voulez-vous savoir ?

Avant toute chose, j’aimerais savoir comment se segmente le portefeuille client de cette entreprise ? Quel chiffre d’affaires réalise-t-elle avec chacun d’eux ?
Quelle est sa part de marché ?

Advancy : l’entreprise sert deux grands segments de clientèle. Le premier est composé de professionnels parmi lesquels on trouve principalement des hôtels et des entreprises. Elle fait 40% de son chiffre d’affaires sur ce segment et sa part de marché est proche de 60%. Le deuxième segment est composé de la clientèle des particuliers. Sur ce segment l’entreprise possède une part de marché de 35%.

Quelles sont les grandes différences au niveau des produits entre les deux segments servis ?

Advancy : les deux segments achètent effectivement des produits assez différents. Les professionnels veulent des produits de qualité supérieure, c’est à dire de la fibre épaisse et résistante. La marque est importante. Le marché des particuliers est en revanche un marché de commodités où le prix est l’argument clé. L’intensité concurrentielle est forte.

Compte tenu de ces différences importantes, j’imagine que la rentabilité des lignes de produits doit être bien différente selon les clients ?

Advancy : vous avez raison. Une analyse de la rentabilité des couples « produits x clients » montre que la clientèle professionnelle est rentable alors qu’il est difficile de gagner de l’argent avec les commodités. Les marges sont serrées.

A ce stade, un premier constat est clair. L’entreprise réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires sur un segment de clientèle peu ou pas rentable actuellement. Que peut-on faire ? Je vois deux grandes options possibles pour essayer de redresser les comptes de la société. Première alternative, développer sa position sur le marché des professionnels puisqu’il est rentable. Mais avec 60% de part de marché il est probablement difficile d’aller beaucoup plus haut. Que savons-nous des concurrents ?

Advancy : les 40% restant du marché sont occupés principalement par un acteur en très bonne santé financière et qui dispose d’une technologie spécifique. Ce marché n’est pas accessible sans investissement pour l’entreprise. A priori, ce marché n’est pas non plus voué à se développer. Le reste du marché, environ 5%, correspond à des « spot deals », en général gagnés par des fabricants étrangers qui saturent leur capacité mais vendent en dessous de leur prix de revient.

La conclusion est que le potentiel de développement avec les professionnels est faible. L’autre alternative à laquelle je pense pour sortir la société « du rouge » est d’être plus rentable sur les commodités.

Advancy : oui, mais comment ?

J’aimerai savoir si les capacités de production sont déjà saturées ?

Advancy : la capacité totale est de 12 000 tonnes par an et la production actuelle est de 10 000 tonnes.

Dans ce cas, il existe potentiellement 2 000 tonnes, soit 16% environ de la capacité, qui pourraient être produites et vendues. La question que nous devons nous poser à ce stade est la suivante. Quel serait l’impact sur le résultat de l’entreprise d’un scénario où elle mettrait sur le marché ces 2 000 tonnes supplémentaires ?

Advancy : vous avez raison. Quelles sont vos hypothèses ?

Si l’entreprise produit 2 000 tonnes de plus alors les coûts rapportés au kilo seront meilleurs et la marge également.

Advancy : je suis d’accord avec les principes mais quel impact réel peut-on attendre ?

Il faut bien séparer les coûts fixes et les coûts variables pour estimer l’impact d’une augmentation des volumes sur les coûts ? Connaissez-vous la répartition des coûts entre les coûts fixes et variables ?

Advancy : la structure de coût est connue. Le coût de revient d’un kilo est actuellement de 6 euros. Les coûts fixes représentent 50% du total des coûts.

Donc, les coûts fixes sont de 3 euros par kilo. Sachant que la production actuelle est de 10M de tonnes, les coûts fixes sont de 30M euros. Si demain, l’entreprise sature sa capacité et si on suppose que les coûts fixes sont vraiment fixes pour une augmentation de la production de 2 000 tonnes alors les coûts fixes ramenés au kilo seraient de 2,5 euros (30M/12k tonnes).

Les 2 000 tonnes supplémentaires vont rapporter en contribution sur coûts variables 4 M d’euros
(5 euros de prix de vente –3 euros de coûts variables => 2 euros par kilo de contribution sur coûts variables).

Advancy : pensez-vous vraiment que le prix de marché sera inchangé ? Il semble prudent de faire une hypothèse de baisse du prix moyen.

Oui effectivement, supposons que le prix de marché soit impacté par ces tonnes en plus sur le marché et baisse de 10% à 4,5 euros du kilo.

Les volumes actuels vont être impactés de 0,5 euros du kilo soit une perte de 5M d’euros
(10 000 tonnes x 0,5 euro/kilo).

Parallèlement, les 2 000 tonnes supplémentaires rapportent 3M d’euros
(1,5 euros/kilo de contribution sur coûts variables).

Au global, l’impact est donc une perte de -2M€, à ajouter au 10M€ de résultat négatif actuel.

Advancy : quelle est votre conclusion ?

Il faut sans doute vendre et se désengager de ce business.

Advancy : avant cette solution, quelle autre solution peut-on envisager ?

Bon… si l’on résume la situation. Au prix de marché actuel, le développement des volumes à capacité maximum est un levier puissant mais les conséquences sur le prix de marché rendent ce scénario sans intérêt.

A partir de ce constat, je préconise d’étudier les opportunités possibles pour exporter de la production et éviter de fragiliser le prix du marché domestique.

D’un point de vue théorique, si l’on est capable de vendre les 2 000 tonnes supplémentaires sur un marché export avec un prix de marché à 5 euros du kilo alors le gain potentiel est de 4M d’euros.

Par ailleurs, il est peut-être possible de trouver d’autres débouchées pour les produits de qualité professionnelle sur lesquels nous avons une meilleure rentabilité.

Je préconise une étude sur les principaux marchés européens pour voir quelles sont les opportunités.

Advancy : que pensez-vous de l’option de fermeture de l’usine ?

Cette solution extrême ne se justifie que s’il n’existe aucune solution économique viable pour redresser la situation ou si aucun concurrent ne peut être intéressé par son rachat.

Advancy : à votre avis quel peut être le coût d’une fermeture ?

Que faut-il financer ? Rembourser les dettes qui existent. Prévoir des indemnités pour l’ensemble du personnel. De manière très macro, une année de masse salariale peut être pris comme hypothèse. Enfin, il faut prévoir des coûts de dépollution. On parle probablement de 15 à 20M d’euros, soit 1,5 à 2 années sur la base des résultats actuels.

Advancy : pour conclure, quelle est votre recommandation ?

Si l’on résume la situation, on dispose de plusieurs scénarios :

  • Scénario d’optimisation des capacités et développement des ventes à l’export : perte annuelle ramenée à 6 millions d’euros contre 10 aujourd’hui. Peut-être un peu mieux avec un mix optimisé.
  • Scénario fermeture : vision macro, plutôt 20M d’euros soit 2 années de perte sur la base actuelle.

A court terme, il faut donc étudier les possibilités export pour saturer les capacités et optimiser autant que possible le mix produit. L’étape suivante est de préparer le plan commercial de conquête avec le compte clé qui sera en charge du développement.

A plus long terme, il me paraît préférable de se désengager de ce secteur d’activité car l’entreprise semble structurellement mal positionnée pour être rentable. Dans ce cas, je préconise de viser un haut de cycle pour chercher un acquéreur potentiel.